Margot Lacombe

Le 1er juin, dans l’atelier de Margot, dans le 10ème arrondissement de Paris

Dans cette rue un peu frigante, se prélasse quelque part dans l’arrière cour, la tranquillité d’un chez soi. Y pénétrer c’est se joindre à Margot parmi des objets, disposés de manière éparse et dont la simple évocation de leur présence suffit à guider notre regard.

Entre onirisme et réalité qui s’envole, Margot construit avec eux des récits dont elle nous livre le propos - une collection qui témoigne avant tout d’une fascination pour les formes.

Lors de sa dernière exposition « A Forest » nous découvrions ses sculptures de bois en ébène, taillées en hommage au récit qu’elle nous livre dans son carnet de dessin berlinois.


Comment définirais-tu ton goût ?

Pour moi le goût est lié à ce qui m’entoure, je mets ce que j’aime autour de moi : que ça soit chez moi, à l’atelier ou sur moi. Beaucoup d’objets sont attachés à des souvenirs. Parfois c’est aussi une histoire de matière qui m’inspire et que je vais poser sur le coin d’une étagère jusqu’à ce que j’ai, ou pas, l’idée de faire quelque chose avec !

De manière générale je dirais que c’est avant tout des matières, des couleurs qui me touchent, me parlent et me rappellent des souvenirs. Ça peut être par leur esthétique.

Je suis très sensible aux formes. Peut-être plus aux formes qu’aux matières d’ailleurs. Mais même si je travaille des matières assez différentes elles sont toujours très naturelles : le bois, la pierre, la terre...


Quelle a été ton éducation à l’art ?

Mes deux parents sont issus de milieux artistiques. Du côté de ma mère, il existe un vrai lien au théâtre. Quand j’étais petite je voyais pas mal de pièces de théâtre. J’ai grandi dans l'appartement au dessus et un numéro après, il y avait l’école de théâtre de mes grands-parents. De manière assez évidente j’ai toujours assisté à toutes les répétitions, avec tous les costumes, je regardais comment ils montaient les décors... Donc ça a forcément influé sur moi. Du côté de mon père, il m’a formé à plein de matières - sauf la céramique. Après le collège j’ai fait un lycée Arts Appliqués et j’ai ensuite été orientée vers une Ecole d’Art.



L’univers théâtral, avec tout ce que cela sous entend - la gestuelle, l’expression des sentiments, etc - tu dirais que ça a été une aide pour faire de tes oeuvres des témoignages ?


Oui, quelque part ça m’a permis de mettre cette part de timidité quelque part, en l’évacuant, en faisant quelque chose de mes mains. Chacun trouve sa manière de s’exprimer !



Quel rapport entretiens-tu avec l’intime ?


C’est un sujet qui a toujours été présent dans mon travail. Avant Duperré je faisais plus de dessin que de volume. Le fait d’y étudier la céramique m’a permis de passer au volume, mais je pense qu’avant ça j’étais déjà entourée d’objets que je trouvais et qui me touchaient. Le fait de passer au volume m’a fait prendre conscience que je pouvais créer des objets qui étaient au coeur de ce questionnement. C’est d’ailleurs tout mon sujet de projet de diplôme à Dupperré : j'y ai construit un petit espace dans lequel je modelais en terre des souvenirs, des choses non palpables.

Bien-sûr, il y a toujours les souvenirs que tu peux garder en main et ceux là je les collectionnais déjà, ce qui m’intéressait c’était tous les autres souvenirs moins palpables. Donner forme à des choses qui n’en ont pas. Assez tôt, toutes les pièces que je créais avaient un lien avec le souvenir et la mémoire.

Avant d’entrer à Dupperré c’était un sujet qui était en moi par le dessin : c’est vrai, quand tu ouvres un vieux carnet de dessin ça témoigne d’une époque qui est passée mais ça permet aussi de garder une trace.



En ce moment, tu réalises beaucoup d'oeuvres en écho direct avec l'étoile. Comment cette fascination pour sa forme est-elle née ?


Je ne pense pas qu’il y ait une fascination des étoiles.

C’est une forme qui m’attirait et que j’avais déjà travaillé au lycée en signant mes pièces. En parallèle, à ce moment-là je travaillais sur un projet de recherche lié à la trace et la marque. Pour moi, l’étoile a cinq branches, comme les mains, c’est donc une façon de laisser son empreinte. Sur la grande étoile en ébène il y a une branche un peu à l’écart, comme un pouce, comme si c’était une main.

À la base de cette histoire pour moi il y a des racines, l’importance qui soit encré dans le sol. C’est plus l’idée de la terre que du ciel.



Quel rapport entretiens-tu avec la matière ?


Je m’entoure de matière en permanence. Les matières que je travaille sont des matières que je trouve belles, que j’ai envie de mettre en valeur. Ce sont aussi avant tout des matières qui me parlent même brutes.

Il y a des choses qui me fascinent moins, qui vont moins me parler. Comme des matières hyper plastiques que je ne me vois pas du tout travailler. En revanche je peux trouver ça très beau quand des amis les travaillent. Comme la résine par exemple.


J’aime les matières avec lesquelles je puisse vraiment être en contact, sans que ça soit chimique, voire toxique.



Tu as récemment expérimenté le marbre. Peux-tu nous en dire davantage ?


C’est arrivé avec l’histoire que j’écrivais dans le petit carnet. C'est un carnet vierge auquel je tenais beaucoup. J'y faisais très attention. À la fin de l’histoire je parle d'une étoile qui se pose à Folkestone. Sur la première de couverture il y a cette gravure de ces montagnes de Fokelstone, en Angleterre sur lesquelles je me suis renseignées. Ce sont des montagnes réputées pour être très blanches. Et drôle de coïncidence : à ce même moment mon père me disait qu’il voulait partir en Italie pour sculpter du marbre. J’ai eu envie d’écrire un tome II de ce livre là mais à partir d’une autre matière ! J’avais une idée bien en tête en partant en Italie.



Comment t’imprègnes-tu d’une atmosphère ?


Je m’en imprègne à chaque fois par la matière, les rencontres. C’est ça aussi qui est important quand tu voyages.



Si tu ne devais citer qu’une seule signature en matière de design/création, laquelle serait- elle ?


Dans le design ce sont les mélanges de matières qui me touchent. C’est quelque chose que je ne fais pas du tout mais qui m’attire. Par exemple, le mélange du bois et du métal c’est quelque chose que je trouve très beau et qui me parle. Déjà, individuellement, ce sont des matières que je trouve très belles donc ensemble c’est d’autant plus fort.

En rapport avec la céramique, Valentine Schlegel a une âme qui me touche beaucoup. Dans son livre il y a une phrase qui dit « je dors, je travaille ». C’est beau, elle habite son lieu et elle s’entoure de ce qu’elle aime. Son art me touche car sa manière de vivre m’intéresse. C’est au-delà de son travail. Je trouve ça beau d’avoir une maison faite entièrement par soi, guidé par ses choix.

Après, il y a d’autres artistes qui travaillent sur le souvenir et la mémoire, comme Louise Bourgeois. Sinon, je suis très attirée par l’Egypte Antique. La simplicité des formes en bois ou en pierre qui ne sont pas nécessairement détaillées, où que l’on retrouve avec l’usage du temps.

J’aime les pièces qui ne sont pas parfaitement dessinées et qui vivent d’elles-mêmes.



Nous sommes dans ton atelier. Quel rapport entretiens-tu avec ce lieu ?


Même si j’ai toujours connu ce lieu, j’ai l’impression de le redécouvrir. Avant je ne travaillais pas dedans. En fait, c’est un peu comme mon appartement : j’y ai grandi, et là j’y retourne pour y habiter seule.
 L’atelier, c’est un peu pareil, je l’ai toujours connu mais ce n’était pas vraiment un espace de travail. C’était chez moi mais je n’avais pas la même relation au lieu : en y travaillant ça devient plus intime et ça devient un lieu à soi qui est très important. C’est aussi ce que je construis en partageant l’atelier avec Jess. 

L’année dernière j’étais dans un atelier partagé de céramique et c’est vrai que c’était important pour moi d’ouvrir ce lieu à quelqu’un qui ait une autre pratique. L’échange est très enrichissant, nos conversations se nourrissent et même si nos univers sont très différents il y a quand même un truc qui marche assez bien entre nos travaux. Et puis, c’est une amie.

L’atelier prend vraiment forme avec le temps et l’important c’est avant tout de bien se sentir dedans. Ça me fait un peu rire d’ailleurs car j’ai la sensation que c’est la continuité de mon appartement. On aime accueillir du monde et on fait régulièrement des dîners. Je cuisine dans mon appartement au dessus et quand j’ai descendu le repas, on se met à déplacer les choses fragiles pour s’installer à table.
 C’est un moyen de se retrouver, d’inviter du monde. J’aime le partage. C’est chouette d’avoir un endroit où les gens peuvent découvrir les outils avec lesquels on travaille. 

J'accorde autant d'importance aux objets. Non pas leur emplacement autour de moi, qui m’importe, plutôt leur présence.

Je ne me sens pas dans un lieu inconnu. 



Quelle est la première chose que tu fais quand tu arrives à l’atelier ?

Je prends un café et je range mon bazar de la veille. C’est un luxe. Ça me permet de faire le point. Je passe souvent par une étape de dessin avant de me lancer dans le volume - sans nécessairement qu’il y ait la précision de la mesure.



Quels-sont tes projets à venir ?

J’ai pour projet de faire un banc étoile avec un ami qui est plus orienté vers le design que moi.
 J’aimerais aussi prendre le temps de continuer mes pièces en marbre, car depuis mon retour d’Italie je me suis davantage concentrée sur la céramique.